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Page:Lescure - Le Monde enchanté.djvu/57

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Moutarde, diminutifs de faunes, monades de sylvains, parcelles d’Amours, âmes des fleurs, élixirs des plantes, atomes incarnés, globules animés de l’air !

« C’est encore la fée, reine de cette ruche de génies ailés, jeune comme l’Aurore dont elle réfléchit les couleurs, millénaire comme la montagne qu’elle habite, changeante comme la lune sous laquelle elle danse, perfide comme l’eau qu’effleurent ses pieds aériens. La fée, c’est-à-dire la nymphe antique à l’état fluide et incorporel, un être aux mille visages, aux mille masques, aux milles nuances, tantôt bête et tantôt étoile ; une forme illusoire, nuageuse et mobile, comme la nature de l’Occident dont elle est l’image.

« Ce terrible et doux grimoire, compliqué par les traditions étrangères, alla de siècle en siècle, s’allongeant et s’embrouillant sur les lèvres des nourrices et des vieilles femmes. Les nourrices surtout en perpétuèrent les récits. C’est de leur sein rustique qu’a jailli cette voie lactée de la féerie, qui sillonne d’une si vague clarté le ciel de l’enfance. Charles Perrault écrivit son livre sous la dictée de ces muses crédules. L’accompagnement naturel de sa lecture serait le bourdonnement d’un rouet, le branle assoupissant d’un berceau. Livre unique entre tous les livres, mêlé de la sagesse du vieillard et de la candeur de l’enfant, il incarne le mensonge, il persuade l’impossible, il apprivoise les chimères et les hippogriffes et les fait s’ébattre dans la maison comme des animaux domestiques. Tous les êtres fabuleux qui dans les légendes voltigent à une distance infinie de la vie réelle, Perrault les prive et les humanise. IL leste d’un grain de bon sens français ces esprits évaporés, que la lune gouverne ; il les revêt de clarté et de vraisemblance, il leur donne l’air familier d’une race fraternelle. Le conteur emmène l’enfant jouer au pays des songes, et l’enfant croit courir dans le jardin de sa mère[1]. »

VI.


Perrault publia ses contes sous le nom de son fils, non par scrupule de vanité, non qu’il n’osât point s’avouer l’auteur de ces petits chefs-d’œuvre de littérature et de morale puérile, mais parce qu’il lui sembla plus naturel de faire signer par un enfant un ouvrage destiné surtout aux enfants, et leur convenant à merveille par la simplicité de la fable et le caractère proverbial, populaire de la leçon. Car, à les examiner de près comme le fait remarquer dans sa Lettre sur les contes de fées Mlle L’Héritier, tous ces contes de fées ne sont guère que des proverbes dramatisés, des conseils de morale familière mis en action. Perrault insiste à

  1. Hommes et Dieux, Études d’histoire et de littérature, p. 467-471,