Page:Lescure - Le Monde enchanté.djvu/61

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qui produit sur nous l’effet de sourire attendri d’un vieux tableau de famille, d’un pastel d’ancêtre.

« Il est bien certain, dit Sainte-Beuve, que pour la matière de ces contes, le même que pour Peau d’Âne qu’il a mise en vers, Perrault a dû puiser dans un fonds de traditions populaires, et qu’il n’a fait que fixer par écrit ce que, de temps immémorial, toutes les mères-grands ont raconté. Mais sa rédaction est simple, courante, d’une bonne foi naïve, quelque peu malicieuse pourtant et légère ; elle est telle que tout le monde la répète et croit l’avoir trouvée. Les petites moralités finales en vers sentent bien un peu l’ami de Quinault et le contemporain gaulois de la Fontaine ; mais elles ne tiennent que si l’on veut au récit, elles en sont la date. Si j’osais revenir, à propos de ces contes d’enfants, à la grosse querelle des anciens et des modernes, je dirais que Perrault a fourni là un argument contre lui-même, car ce fonds d’imagination merveilleuse et enfantine appartient nécessairement à un âge ancien et très antérieur ; on n’inventerait plus aujourd’hui de ces choses, si elles n’avaient été imaginées dès longtemps ; elles n’auraient pas cours, si elles n’avaient été accueillies et crues bien avant nous. Nous ne faisons plus que les varier et les habiller diversement. Il y a donc un âge pour certaines fictions et certaines crédulités heureuses ; et si la science du genre humain s’accroît incessamment, son imagination ne fleurit pas de même[1]. »

Non, il y a des heures décisives, des après-midi suprêmes pour ces fleurs délicates de l’imagination ; Perrault est venu à cette heure pour cueillir ces roses de la féerie, prêtes à s’effeuiller, et pour en fixer, dans ce style simple comme le sujet, mais animé d’une grâce magique, d’une fatidique malice, la couleur rajeunie et le parfum ravivé. Traduire ainsi, — et le premier, — c’est créer. Il faut avoir beaucoup d’esprit pour savoir se borner à celui qui convient dans un sujet donné. Perrault a eu ce tact, cette mesure, ce bonheur. Chacun de ses personnages parle la langue du temps, mais parle surtout celle de son rôle et de son caractère. Perrault a su faire parler, marcher, agir, dans un air de vérité humaine, des personnages surhumains, dont la figure n’apparaissait que dans des formes fantastiques et avec les exagérations terribles ou grotesques du cauchemar. Il a mis ce grossier et brutal merveilleux du moyen âge au ton des sociétés polies et des enfances cultivées. Ses fées ont des têtes de grand’mères. Ses ogres eux-

  1. Causeries du lundi, t. V, p. 216.