Page:Lescure - Le Monde enchanté.djvu/66

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ingénieuses et ironiques, qu’un prétexte à jeux de patience et à casse-tête pour les imaginations désœuvrées et frivoles. Dix ans après ce chef-d’œuvre immortel, les Contes de Perrault, paraîtront ces contes dont Hamilton ne s’est pas même donné la peine d’achever deux sur quatre, et qui ne sont plus d’un naïf, mais d’un malin, d’un croyant, mais d’un sceptique.

Perrault, trop avisé pour ne pas choisir le parti d’être naïf, eût pu, avant Hamilton, enterrer brillamment la féerie, être le Cervantes de ce donquichottisme du conte de fées ; il préféra raviver la lampe de la veillée aristocratique et populaire des âges romanesques et chevaleresques, et lui faire jeter un suprême ut inextinguible éclat. Il préféra la popularité éternelle auprès des enfants et des simples à un succès moins durable auprès des gens d’esprit. Il préféra, comme marraine de ses contes, l’Imagination à la Raison. Il les dédia à Mademoiselle, non la dernière des héroïnes de roman, des princesses de féerie, mais à la fille de la seconde Madame, future duchesse de Lorraine, princesse d’un esprit et d’un cœur raisonnables et tempérés. Il ne se piqua point, comme Mme d’Aulnoy, la meilleure pourtant de ses imitatrices, et qui eut aussi l’esprit de paraître croire à ses fictions, seul moyen d’y faire croire les autres, de faire les délices de la petite cour qui chassait, devisait et médisait, et surtout dînait et soupait à Meudon, dont les jardins étaient le théâtre de ces derniers Décaméron de la décadence. Il ne prétendit même pas, comme y prétendit et y réussit peut-être Hamilton, à faire sourire Mme de Maintenon, fée sensée et chagrine, dont l’enfance aventureuse et délaissée n’avait été bercée d’aucun conte, dont la jeunesse n’avait été égayée d’aucun roman, et qui passait son temps à gronder, en marraine acariâtre, la duchesse de Bourgogne, une vraie petite princesse de féerie, celle là, égarée dans cet automne attristé et positif de la fin du règne.

Perrault, et c’est là que son tact, son flair, son goût, éclatent jusqu’aux proportions du génie, ne céda point à la tentation de parti pris sceptique et ironique qui lit à Hamilton un succès de bien moindre aloi et de bien moindre durée que le sien. Il eut l’art et le goût de rajeunir et de raviver sans les enjoliver, sans les gâter, des fictions surannées. Il donna le costume et le langage du temps à leurs personnages[1], mais il leur conserva le caractère tradition-

  1. Le style de Louis XIV, répandu sur ces féeries gothiques, dit encore ex-