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Page:Lescure - Le Monde enchanté.djvu/71

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monde. Il travailla donc sur ce fonds commun de la fiction populaire, dont le fantastique étrange ou charmant se fait jour sous une parure qui le rajeunit sans l’altérer, et se reconnaît facilement sous le vêtement léger dont il l’a habillée.

« Les contes de Perrault ont gardé d’ailleurs sous leur costume rococo le caractère fantastique des légendes dont ils sont sortis. Pour avoir été débrouillée par Le Nôtre, et taillée par la Quintinio, cette sylve enchantée n’en conserve pas moins ses échos antiques et ses racines se rattachent aux plus profondes traditions. Les fées de Perrault arrivent directement des forêts celtiques ; ses ogres descendent des râkskas de l’Inde et du cyclope homérique. Le Petit Poucet est l’incarnation gauloise de ces nains qui remplissent les légendes allemandes de tours subtils joués aux géants. Le Chat botté revient du sabbat, et la terreur qu’il inspire s’explique par les métamorphoses félines des sorcières. Le palais de la Belle au bois dormant correspond, par des passages secrets, à la caverne des Sept-Dormant et à cette montagne de la Thuringe, où l’empereur Frédéric, au milieu de sa cour, dort accoudé sur une table de pierre dont sa barbe rousse fait trois fois le tour. La pantoufle de Cendrillon s’appareille à la sandale de Rhodope enlevée par un aigle et jetée par lui sur la poitrine de Psammétique, roi d’Égypte, qui fit chercher par toute la terre la femme à qui elle appartenait, et l’épousa dès qu’on l’eut trouvée, Peau d’Âne remonte peut-être à l’Âne d’or d’Apulée. Les antiquaires, en s’approchant de très près, reconnaissent dans Barbe-Bleue un roi breton du sixième siècle, nommé Comorus, qui tuait ses femmes, que ressuscitait ensuite saint Gildas. »

Paul de Saint-Victor n’a rien dit de cette petite figure effacée, type d’ingénuité enfantine et presque inconsciente : le Petit Chaperon rouge, le premier personnage qui traverse la scène des Contes de Perrault, et y attire, par une de ces premières et tragiques aventures qui peuvent arriver à tous les enfants qui flânent en route et font leurs commissions en écoles buissonnières, l’attention terrifiée de toute la puérilité.

À ce petit personnage sans nom, typique pourtant à cause de cela même et sous son étiquette : le chaperon rouge, nom tiré du couvre-chef caractéristique d’une classe et d’une époque, n’en représentant que mieux cette classe et cette époque, baptisées par le conteur du nom de la coiffure à queue et à bourrelet du moyen âge, comme plus tard il eût pu dire : la petite cale rouge ou la petite bavolette bleue ou la petite grisette ; à cette enfant, disons-nous, il ne convenait pas d’opposer un géant, un génie, un dragon, un agent supérieur de la tyrannie et de la persécution fan-