Page:Lescure - Le Monde enchanté.djvu/72

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tastique. Passe encore si c’eût été sa plus grande sœur Nicette, ou son autre sœur Nicolette, ou Perrette au Pot au lait, sa sœur aînée. Pour elle, il suffit du loup qui la croque. Mais non pourtant d’un loup ordinaire, vulgaire : c’est plus qu’un loup : c’est le Loup, le Messire Loup de la Forêt fantastique, le représentant de la faim jalouse et cruelle du Mal, affamé du Bien, l’incarnation animale, mais parlante, et caressante ou menaçante tour à tour, et toujours implacable, de Satan rôdant autour des innocences fraîches et à l’affût de ces cœurs naissants, tendres et roses, comme ses joues encore lactées, de l’enfance à sa première faute, à son premier péché. Péché mignon, s’il en fut : ne pas se méfier assez en route des mauvaises rencontres et prêter l’oreille non aux fleurettes, mais aux sornettes du Loup, du Loup-garou terreur des chaumières et même des châteaux, du Loup méchant et férocement narquois, tyran de la forêt, que les tours malins du Renard, son ennemi intime, son victorieux mystificateur, n’ont pas réduit à la philosophie de l’expérience et de l’impuissance, qui n’est pas encore devenu le loup presque débonnaire, le diable fait ermite, auquel pourtant il ne faudrait point trop se fier : le Loup blanc.

Le conte du Petit Chaperon rouge se conte aussi en Allemagne et porte, dans le recueil des frères Grimm, le même titre que dans Perrault, qui l’a pris tout vif dans la tradition du moyen âge et lui a laissé toute sa saveur, toute sa crudité primitives. Il est incontestablement le plus ancien de tous. Il sent son fabliau ou son lai d’une forte odeur rustique et agreste ; s’il ne fait point partie du répertoire de veillée de Robin sous François Ier. il fait certainement partie du répertoire des nourrices et des mères-grands qui veulent intéresser les petites filles à l’obéissance et à la prudence par l’intérêt d’une double conservation, d’un double salut.

Car, pour la mère-grand française, le loup n’épargne pas, ne rend pas sa proie ; le paysan du moyen âge sait que toute mauvaise rencontre au bois est inexorablement funeste, et que le loup et son digne compère non moins affamé, non moins cruel que lui, le bandit anglais ou navarrais des Grandes Compagnies, ne font ni grâce à la vieillesse, ni merci à l’enfance, et que nul scrupule, nulle pudeur, ne les arrêtent. Il sait, ce paysan, au récit pessimiste et amer, qu’il ne faut point compter, car cette confiance a été souvent déçue, sur l’intervention libératrice de