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la version française, et avec la version bretonne, qu’il n’a pas connue.

Le conte recueilli par les frères Grimm est évidemment une traduction du conte français habillée à l’allemande, avec des variations de détail qui correspondent parfaitement aux différences du génie des deux peuples. Le conte allemand se distingue du conte français, si alerte et si vif, mais si juste de ton et ne poussant rien à l’extrême, par une pointe de sentimentalité qui s’allie mal avec la cruauté du dénouement.

La Cendrillon française a une pantoufle de verre qui glisse à son insu sur le degré et amène l’épreuve qui trahira son incognito ; elle est généreuse et pardonne à ses sœurs, ne se vengeant d’elles qu’en leur faisant partager son bonheur. La Cendrillon allemande a une pantoufle d’or, qui demeure collée aux marches de l’escalier, quand elle s’enfuit de la fête royale à laquelle elle s’est invitée, parce que le prince, par un stratagème qui sent plus encore le curieux que l’amoureux, a fait enduire l’escalier de poix ou de glu.

C’est sur la tombe de sa mère, qui l’a recommandée à Dieu en mourant, tombe sur laquelle elle a planté une branche de noisetier devenue un arbre magique où perchent deux pigeons blancs, que tombent de leur bec, à sa requête, les vêtements magnifiques dont elle a besoin pour paraître dignement à la cour, et y éclipser toutes les prétendantes, y compris ses jalouses sœurs.

Celles-ci poussent l’ambition jusqu’à, consentir, sur le conseil de leur mère, la marâtre persécutrice de Cendrillon, jusqu’à consentir, l’une, à se couper le gros orteil, l’autre, à se couper le talon, pour pouvoir faire entrer leur pied dans la pantoufle. Vains sacrifices, car le fils du roi, qui les a prises en croupe, reconnaît la supercherie au sang qui coule de leur blessure, et les rend dédaigneusement à leur père, pour épouser celle dont le pied entre dans la pantoufle comme de cire. C’est l’expression de Perrault, c’est aussi celle du conte allemand qui trahit ainsi l’imitation du fond par celle de la forme elle-même. Enfin, tandis que notre Cendrillon pardonne à ses sœurs et les associe à son triomphe, la Cendrillon allemande souffre, si elle ne s’en applaudit pas, que les deux pigeons consolateurs de ses déboires et vengeurs de sa querelle, crèvent les yeux, le jour de ses noces, à ses sœurs, par un châtiment féroce qui a, du moins, pour elles l’avantage de les exempter de la vue de ce bonheur qu’elles ont tout fait pour empêcher. Ce dénouement est