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Page:Lesueur - À force d'aimer, 1895.djvu/137

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à force d’aimer

Immobile sur le banc, pâle de la pâleur de l’agonie, Hélène lisait et relisait cette lettre. Un étonnement lui venait de ne pas tomber morte, de ne pas même s’évanouir. Comment se faisait-il qu’un coup sur la tempe ou sur la nuque tuât un homme, et qu’un pareil arrachement de tout l’être sensible n’arrêtât pas pour toujours les battements d’un cœur de femme ?

Si elle n’eût pas été une créature sans complication, incapable de décomposer un sentiment et d’en reconstituer les éléments primitifs, peut-être eût-elle songé que les injures d’un homme épris sont parfois la combinaison de plusieurs équivalents de passion furieuse mais sincère, et de souffrance trop fière pour s’avouer. Elle eût compris qu’Horace, torturé par son propre orgueil, s’était écrasé le cœur pour en tirer les gouttes de sang avec lesquelles il avait écrit ces phrases d’une simplicité atroce. Ah ! ces phrases, d’une si discrète mesure que Mlle Marinval aurait pu laisser traîner la lettre sans crainte d’être compromise… Il n’y avait au monde que l’homme d’ironie et de volonté adoré par elle qui sût infliger, sous la banale politesse d’une formule presque insignifiante, la flagellation d’un si mortel dédain. Ce dédain, elle le subit tout entier, le prit au pied de la lettre, n’envisagea pas l’absurdité de cette hypothèse que lui, le psychologue, l’observateur, devant qui elle avait laissé transparaître son âme, pût — autre-