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à force d’aimer

geste violent… « Mais qu’est-ce que cela prouve ? Oui, maître, j’aime cette jeune fille… Ou plutôt, vous l’avez dit, j’aime une autre en elle, avec elle. Toutes deux, elles me charment et m’attirent. J’ai rêvé d’elles durant toute mon adolescence. Je les adorais petites, comme je les avais connues, et grandissantes, comme je les devinais. Ce qu’il y avait dans mon cœur à leur égard, c’était du souvenir et du pressentiment… du rêve. Quand je les ai revues, l’une si gracieuse, l’autre si belle, toute ma tendresse, toute ma passion, tout ce que la femme éveille en nous, comme sœur et comme fiancée, est allé vers elles. Oh ! les nommer de ces deux noms !… Mais songez donc, maître, que c’est la réalité, que je ne suis pas fou… que l’une au moins est la chair de ma chair, que je lui dois l’affection, la protection…

— L’affection et la protection, » ricana Horace. « Si tu te présentais chez votre commun père, elle te ferait éconduire par ses domestiques. Et lui, le financier archi-millionnaire, s’est-il seulement informé de ce que tu es devenu depuis que ta pauvre mère est morte ? D’ailleurs, oublies-tu le serment qu’elle t’a fait prêter, et que tu m’as répété, de ne jamais donner à cet homme le nom de « père » ?

— Non, » dit René. « Et ce serment, je n’y faillirai pas. Quelles raisons graves devait avoir ma mère, elle si bonne, si prompte à l’indulgence, pour me le dicter… Et ces raisons, je les devine,