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Page:Lesueur - À force d'aimer, 1895.djvu/263

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à force d’aimer

sion des travaux, et qui a coûté la vie à plusieurs hommes, aurait été provoqué…

— Assez !… » cria René.

Mot jailli d’une telle souffrance morale que l’intonation impérative ne choqua pas son maître. Fortier se tut, et regarda le jeune homme enfouir sa tête dans ses mains. Les yeux du chef socialiste s’adoucirent, s’embrumèrent presque d’attendrissement, à voir cette attitude d’un si naïf et sincère désespoir. La première rencontre de cet enfant avec la bassesse et la vilenie humaines était rendue doublement tragique par ce fait qu’il sentait couler dans ses veines le sang abominable. Dans ce moment, en effet, l’horreur et la honte l’emportaient même sur la sollicitude ombrageuse dont son cœur, de loin, enveloppait sa sœur, et l’amie, trop chère, de cette sœur. Son anxiété fraternelle et son amour même se taisaient. Tout son être était bouleversé jusqu’à l’affolement par l’indignation et le dégoût.

— « Mon pauvre enfant ! » dit enfin Horace. « Toi qui veux la régénération du monde par la bonté, tu n’avais pas mesuré encore la sombre férocité de l’égoïsme humain. Ta « force inconnue » enlèvera-t-elle les dents et les griffes à ce monstre ? Ah ! nous autres réformateurs, qui rêvons des sociétés idéales, nous oublions tous que nous ne devons pas organiser des paradis, mais des bagnes… Car ce ne sont pas des anges qui peupleront nos