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à force d’aimer

elle pas bien pire ? L’homme qui l’avait possédée, elle s’était donnée à lui volontairement, sans condition… Et elle en avait un fils… Et cet homme allait et venait sous la lumière du ciel… Il respirait, marchait, riait, faisait des affaires, emplissait les journaux de son nom… Il faudrait révéler cette horrible chose à celui-ci qu’elle aimait, dont elle se sentait aimée !…

Comment avait-elle jamais pensé que ce serait facile, qu’un mot généreux prononcé par lui anéantirait une réalité semblable ?… Mais elle ne l’avait donc jamais deviné, jamais compris, cet Horace ! Elle n’avait jamais mesuré la hauteur dédaigneuse de cette personnalité, qui, en effet, ne devait pas supporter un rival, même dans le passé. Elle se l’était représenté à son image, comme les croyants font pour leur Dieu. Dans son rêve puéril, d’un dévouement trop confiant, trop tendre, elle avait fait tenir ce front, ce cœur, altiers et forts. Et voilà qu’au premier geste, un bras trop dur brisait, dispersait les nuages légers de son illusion. L’inconscience du mouvement le rendait plus redoutable. Une obscurité de passions imprévues se découvrait. Le mystère pressenti dans cette âme adorée et inconnue fit frissonner Hélène.

« Non, » se dit-elle, « plutôt le fuir et mourir que de le voir se glacer au récit de ma vie ! Jamais je n’aurai le courage de lui dire… »