Page:Lesueur - Nietzscheenne.djvu/67

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mouvante comme sous l’arrogance d’une crinière, ignorait le poids des années. L’équivoque fatuité de son rire annonça ce qu’il n’osait faire mieux comprendre : l’infaillible virilité, l’assurance des joies fougueuses, la confiance dans ses muscles lisses et solides. Et, en effet, la jeunesse de beaucoup d’hommes eût fait piètre mine à côté de ses cinquante-quatre ans de vigueur manifeste, d’aspect magnifique.

Jocelyne, détendue, essaya de rire avec lui :

— « Vous voulez des compliments, à votre tour. Ah ! cher grand ami, si vous saviez tout le bien que mon affection pense de vous !

— Je m’en fiche un peu, de cette affection-là !… » grommela-t-il.

Le premier fracas s’apaisait en eux. Bientôt, ils se trouvaient assis, désarmés d’airs et de gestes, osant parler enfin, avec moins de défiance réciproque, d’une passion — éclose, devinée depuis longtemps, mais que jamais encore Mlle Monestier n’avait voulu admettre comme possible — dont son attitude avait interdit la moindre manifestation.

Et voici que, sans aucune tactique de coquetterie, à cause de son incompréhension têtue, de sa volontaire cécité, affolant Nauders, elle l’amenait, dès la première explication, au terme que, lui, n’avait pas encore prévu.

D’ailleurs, il était un homme de décisions en coups de foudre. Croyant à l’inspiration du moment, au hasard, à son étoile. Tempérament foncier de joueur, comme tous les conquérants, les chefs d’aventure, qu’ils amassent des territoires ou de colossales richesses. Nauders prit son parti sur-le-champ. Tout, en un éclair, fut envisagé, pesé. Même la rébellion de sa fille — tant chérie ! — contre un mariage, pour lui, disproportionné, gênant, sur lequel la railleuse férocité du monde trouverait pâture à mordre.

« N’était-il pas plus absurde à Huguette — la petite snob ! — d’avoir voulu un mari à particule et à couronne ? Elle est vicomtesse. À qui le doit-elle ? Je lui ai fait largement sa part. Qu’elle me laisse la mienne ! »