Page:Lesueur - Nietzscheenne.djvu/69

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Vainement elle levait la main pour l’interrompre. Il saisit cette main, la couvrit de baisers.

— « Mon ami, mon cher grand ami, écoutez-moi… Non, voyons… soyez raisonnable. Quelle chimère !… Je ne peux pas devenir votre femme. »

Le mot était prononcé, le mot redouté qu’il arrêtait, qu’il ne voulait pas entendre. Mais comment croire à un refus sincère ? Cette Jocelyne déconcertante ressemblait si peu aux autres femmes. Avec elle, on ne savait pas. Toutefois, pareille aux autres, il ne l’eût pas aimée.

À présent, il lui posait le « pourquoi ?… pourquoi ? » de toutes les désillusions, sachant qu’il ne comprendrait pas sa réponse. Est-ce que jamais on comprend quand l’être qu’on aime vous dit « non » ?

Il crut saisir qu’elle lui parlait de son tragique roman, à elle, et il se récria. Ne savait-il pas tout ? Justement, puisqu’il n’en prenait pas ombrage, lui, le témoin, le confident, ami de son malheureux père — puisqu’il l’épousait, lui ! — n’était-ce pas le plus éclatant démenti aux interprétations injustes et fausses, n’était-ce pas la plus définitive réhabilitation qu’elle pût demander à la vie ?

— « Je ne demande ma réhabilitation qu’à moi-même », prononça Jocelyne.

— « Ce mot vous a-t-il froissée ? Pardon. Il est inexact, en effet. Quand il n’y a pas eu faute…

— Il y a eu faute », interrompit-elle d’une plus altière façon qu’elle n’eût déclaré le contraire.

— « Pas celle que suppose la malveillance. Vous étiez une enfant. D’ailleurs, les préjugés…

— Je ne puis être au-dessus des préjugés que si je leur oppose, au fond de moi, des raisons d’agir qui leur soient supérieures. C’est vite dit, « préjugé », continua Jocelyne.

— « Qu’est-ce qu’il y a de plus odieux ? » cria Nauders.

— « Ne parlez pas ainsi. Les préjugés sont les étais de la conscience humaine. Quand la conscience s’élargit, ils craquent et tombent. Mais l’âme, en dessous, s’est fortifiée.

— Prétendez-vous n’en avoir pas souffert ? »