Page:Lesueur - Nietzscheenne.djvu/83

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maintenant accoudé, le menton sur ses mains. Son lourd masque blême, ses yeux fixes, les mèches désordonnées de ses cheveux, où s’étaient crispés ses doigts, le firent apparaître à sa fille si morne, si différent de lui-même, qu’elle s’avança vite, émue.

— « Tu es malade, papa ? »

Il tourna vers elle un regard absent.

— « Moi ?… Non.

— Qu’est-ce que tu as ?

— Rien.

— Des ennuis d’affaires ?… »

Il éclata d’un rire qui faisait mal, qui faisait peur.

— « Ah ! quand Nauders aura des ennuis d’affaires !… » Puis il se secoua, passa la main sur son front. — « Tout n’est pas dit… On me verra si-haut !… » (Et, se tournant vers Huguette) : « J’ai à travailler énormément. Pas le temps de m’occuper de toi, ma petite fille.

— Papa, c’est si peu de chose.

— D’autant mieux. Ça peut se remettre. Laisse-moi, laisse-moi.

— Père chéri, écoute une minute.

— Allons, quoi ? Finissons-en ! Je te dis que j’ai besoin d’être seul.

— Eh bien, voilà », fit-elle précipitamment. « J’ai une dette.

— Une dette… Alors ? Tu Veux que je paye ? Une dette, la belle affaire ! » Son front se contracta. Le puissant cerveau se refusait à réfléchir, ne tolérait aucune distraction à l’idée dont il s’enivrait et se suppliciait à la fois. — « De combien ta dette ? Que tu me fiches la paix ! »

Elle lâcha tout le chiffre, flairant l’atmosphère complice.

— « Soixante-dix mille. »

La somme n’éveilla pas Nauders de son somnambulisme douloureux. Tout était insignifiant à côté de sa peine. Machinalement, il attira son carnet de chèques, griffonna, signa.

— « Tiens… Va, maintenant, va, ma mignonne. Laisse-moi seul. »

Sa fille était déjà hors de la pièce, grimpant l’escalier,