aussi attachée à ton époux que tu parais l’être ?
— Je le parais et le suis réellement, reprit-elle ; si
je fous avec toi et avec beaucoup d’autres, je ne
vois là aucune chose qui ne soit dans la nature.
Le plaisir que nous procure la fouterie ne doit
pas être confondu avec celui que nous procure
l’amitié. J’ai de l’amour pour toi et de l’amitié
pour mon époux ; l’amour que j’ai pour toi est
commandé par le besoin de mes sens et dès qu’ils
sont apaisés je n’ai pour toi et pour tes semblables
que la plus froide indifférence. L’amitié, au
contraire, est un sentiment qui toujours m’entraîne
vers l’objet que j’aime ; cet objet s’identifie
en quelque sorte avec moi-même et je ne puis
vivre sans lui. Tu vois donc que l’amour diffère
bien de l’amitié : le premier passe avec le temps
et n’est, proprement dit, que l’affaire du moment,
du besoin ou de la circonstance, tandis que le
second se raffermit de plus en plus, et ne finit
véritablement qu’avec vous. — Eh bien ! lui dis-je,
voila comme moi et mon épouse pensons ! et
je lui montrai de tes lettres. — Est-il possible ?
s’écria-t-elle, quoi ! il se rencontrerait un homme
qui pensât aussi bien que moi et comme devraient
penser les autres hommes ? Viens, mon ange !
nous étions faits l’un pour l’autre, je sens que je
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LETTRE NEUVIÈME
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