sont arrivés à travers les âges ; on a la Phèdre d’Euripide, la Magicienne de Théocrite, la Médée d’Apollonius de Rhodes, la Didon de Virgile, l’Ariane de Catulle. Parmi les modernes, on a les Lettres latines d’Héloïse ; celles d’une Religieuse portugaise ; Manon Lescaut, la Phèdre de Racine, et quelques rares productions encore, parmi lesquelles les Lettres de Mlle de Lespinasse sont au premier rang. Oh ! si feu Barrère n’avait jamais rien fait de pis dans sa vie que de publier ces Lettres, et s’il n’avait jamais eu de plus grosse affaire sur la conscience, nous dirions aujourd’hui de grand cœur en l’absolvant : Que la terre lui soit légère !
La vie de Mlle de Lespinasse commença de bonne heure par être un roman et plus qu’un roman. « Quelque jour, écrivait-elle à son ami, je vous conterai des choses que l’on ne trouve point dans les romans de Prévost ni dans ceux de Richardson… Quelque soirée, cet hiver, quand nous serons bien tristes, bien tournés à la réflexion, je vous donnerai le passe-temps d’entendre un récit qui vous intéresserait si vous le trouviez dans un livre, mais qui vous fera concevoir une grande horreur pour l’espèce humaine… Je devais naturellement me dévouer à haïr, j’ai mal rempli ma destinée. » Elle était fille adultérine de Mme d’Albon, une dame de condition de Bourgogne, dont la fille légitime avait épousé le frère de Mme du Deffand. C’est chez ce frère que, dans un voyage en Bourgogne, Mme du Deffand rencontra à la campagne la jeune fille, alors âgée de vingt ans, opprimée, assujettie à des soins domestiques inférieurs et dans une condition