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Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/131

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elle et vous m’avez fait éprouver les tourments des damnés, le repentir, la haine, la jalousie, le remords, le mépris de moi, et quelquefois aussi de vous-même ; enfin, que vous dirai-je ? tout le malheur de la passion et jamais ce qui peut faire le bonheur d’une âme honnête et sensible, voilà ce que je vous dois, mais je vous pardonne. Si je tenais à la vie, je sens que je ne serais pas si généreuse : je vous vouerais une haine implacable ; mais bientôt, je ne tiendrai pas plus à vous qu’à la vie, et je veux employer ma sensibilité, mon âme et tout ce qui me reste de vie à aimer, à adorer la seule créature qui ait rempli mon âme, et à qui j’ai dû plus de bonheur et de plaisir que presque tout ce qui a paru sur la terre n’en a senti, ni pu imaginer ; et c’est vous qui m’avez rendue coupable envers cet homme ! Cette pensée soulève mon âme, je m’en détourne. Je voudrais me calmer, et, si je le puis, mourir. Je vous le répète encore, et c’est le dernier cri de mon âme vers vous : par pitié, laissez-moi, sinon vous connaîtrez le remords.



LETTRE XLI

1774.

Cela serait bien doux, bien aimable, si cela disait que je vais vous voir ; mais ce doute détruit l’impression sensible que j’aimerais tant à recevoir de ce que vous me dites. Mon Dieu ! que vous troublez ma vie ! vous me faites éprouver dans l’espace d’un jour les dispositions les plus contraires : je suis à la fois en-