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Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/130

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condamné attend encore son médecin, parce que ses yeux se lèvent encore sur les siens pour y chercher de l’espérance, parce que le dernier mouvement de la douleur est la plainte, parce que le dernier accent de l’âme est un cri. Voilà l’explication de mon inconséquence, de ma folie, de ma faiblesse… Oh ! que j’en suis punie !…



LETTRE XL

Onze heures, 1774.

Ayez assez de délicatesse pour cesser de me persécuter. Je n’ai qu’une volonté, je n’ai qu’un besoin, c’est de ne plus vous voir en particulier. Je ne puis rien pour votre bonheur, je ne sais rien pour votre consolation : laissez-moi donc et ne vous plaisez plus à faire le tourment de ma vie. Je ne vous fais point de reproches ; vous souffrez, je vous plains, et je ne vous parlerai plus de mes maux. Mais, au nom de ce qui a encore quelque empire sur votre âme, au nom de l’honneur, au nom de la vertu, laissez-moi, ne comptez plus sur moi. Si je puis me calmer, je vivrai ; mais si vous continuez, vous aurez bientôt à vous reprocher de m’avoir rendu la force du désespoir. Épargnez-moi le chagrin et l’embarras de vous faire exclure à ma porte dans les heures où je suis seule. Je vous demande, et c’est la dernière fois, de ne venir chez moi que depuis cinq heures jusqu’à neuf. Si madame de… pouvait lire dans mon âme, je vous assure qu’elle ne me haïrait pas : tout au plus, j’aurais mis quelques regrets dans la sienne ; mais