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Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/14

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agi d’un vol domestique. L’orage fut terrible et ne se termina que par une rupture. Mlle de Lespinasse quitta brusquement le couvent de Saint-Joseph ; ses amis se cotisèrent pour lui faire un salon et une existence rue de Belle-Chasse. Ces amis, c’étaient d’Alembert, Turgot, le chevalier de Chastellux, Brienne, le futur archevêque et cardinal, l’archevêque d’Aix, Boisgelin, l’abbé de Boismont, enfin la fleur des esprits d’alors. Cette brillante colonie suivit la spirituelle émigrante et sa fortune. Dès ce moment, Mlle de Lespinasse vécut à part et devint, par son salon et par son influence sur d’Alembert, une des puissances reconnues du xviiie siècle.

Heureux temps ! toute la vie alors était tournée à la sociabilité ; tout était disposé pour le plus doux commerce de l’esprit et pour la meilleure conversation. Pas un jour de vacant, pas une heure. Si vous étiez homme de Lettres et tant soit peu philosophe, voici l’emploi régulier que vous aviez à faire de votre semaine : dimanche et jeudi, dîner chez le baron d’Holbach ; lundi et mercredi, dîner chez Mme Geoffrin ; mardi, dîner chez M. Helvétius ; vendredi, dîner chez Mme Necker. Je ne parle pas des déjeuners du dimanche de l’abbé Morellet, qui ne vinrent, je crois, qu’un peu plus tard. Mlle de Lespinasse, n’ayant moyen de donner à dîner ni à souper, se tenait très exactement chez elle de cinq heures à neuf heures du soir, et son cercle se renouvelait tous les jours dans cet intervalle de la première soirée.

Ce qu’elle était comme maîtresse de maison et comme lien de société, avant et même depuis l’inva-