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Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/144

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paraît si uniforme, si monotone, a été en proie à tous les malheurs et en butte à toutes les vilaines passions qui animent les malhonnêtes gens. Mais où vais-je m’égarer ?… tout entière à vous que j’aime, qui soutenez, qui défendez ma vie, pourquoi vais-je jeter les yeux sur tous les objets qui me l’ont fait détester ? — Je ne fermerai ma lettre qu’après l’arrivée du facteur : que je serai comblée de plaisir s’il m’apporte une lettre de vous ! Mais vous serez arrivé trop tard, vous ne faites rien à temps ; ce que vous ne voyez pas, existe à peine pour vous. Enfin, vous êtes justement comme il faut être pour faire le tourment d’une âme sensible ; et moi, je suis justement tout ce qu’il faut pour prouver que la folie n’exclut pas l’imbécillité. Figurez-vous que je vous parle comme si j’étais à samedi. J’attends le facteur qui n’arrivera que demain, et ce n’est pas votre faute, mon ami, ce n’est pas la mienne non plus, si ma tête est troublée, si le besoin que j’ai d’être consolée, me fait perdre l’ordre et la mesure du temps. Hélas ! je ne sais s’il n’aurait pas mieux valu ne pas nous connaître, ne pas vous aimer ; il y a trois mois que je serais comme j’étais il y a cent ans ; je ne souffrais point, je n’avais besoin ni de vous, ni de vos lettres ; mais n’êtes-vous pas assommé par la longueur de celle-ci ? Mon ami, accoutumez-vous à cette importunité.



LETTRE XLVII

Samedi au soir, 27 août 1774.

Mon ami, je n’ai point eu de vos nouvelles. Je m’étais dit cent fois : il sera arrivé trop tard ; il n’aura pas