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Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/149

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je crois sa santé bien menacée. — M. Wattelet est assez malade de la poitrine ; il est au lait d’ânesse. Je suis fort souffrante ces jours-ci ; mais c’est presque mon état habituel : la durée des maux ôte jusqu’à la consolation de s’en plaindre. Adieu, encore une fois. Est-ce que je ne vous aurais pas dit que j’ai entendu chanter Milico ? c’est un Italien. Jamais, non jamais, on n’a réuni la perfection du chant avec tant de sensibilité et d’expression. Quelles larmes il fait verser ! quel trouble il porte dans l’âme ! j’étais bouleversée : jamais rien ne m’a laissé une impression plus profonde, plus sensible, plus déchirante même : mais j’aurais voulu l’entendre jusqu’à en mourir. Oh ! que cette mort eût été préférable à la vie !



LETTRE XLIX

Jeudi, 15 septembre 1774.

Peut-être ne lirez-vous jamais ce que je vais écrire ; peut-être aussi le recevrez-vous incessamment : c’est, je crois, la réponse que j’attends samedi, qui me déterminera, soit à brûler, soit à vous envoyer cette lettre. Écoutez-moi : il me semble que toutes les passions de mon âme se sont calmées : la voilà revenue, la voilà rendue à son premier et son unique objet. Oui, mon ami, je ne m’abuse point : mes souvenirs, mes regrets même me sont plus chers, plus intimes et plus sacrés que le sentiment violent que j’ai eu pour vous, et que le désir que j’avais de vous le voir partager. Je me suis recueillie ; je suis rentrée dans moi-même ; je me suis jugée, et vous aussi :