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Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/190

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a pas une virgule de changée. — Je lis un mauvais livre sur le théâtre, où il y a une quantité de bonnes choses ; je vous le garde. — Tout le monde est à Fontainebleau, et j’en suis bien aise : j’écrivais souvent sur ma porte, comme ce savant : Ceux qui viennent me voir me font honneur ; ceux qui n’y viennent pas me font plaisir.M. Marmontel me proposa mercredi de me lire un nouvel opéra-comique ; il vint, il y avait douze personnes. Les voilà en cercle, et moi dans le dessein d’écouter le Vieux Garçon ; c’est le titre de l’ouvrage. Le commencement de la première scène me parut embrouillé, embarrassé. Savez-vous ce que je fis, sans que ma volonté y eût la moindre part ! c’est que je n’en entendis pas un mot : mais cela est si exact, que j’aurais été pendue, plutôt que de dire le nom d’un personnage, ni le sujet de la pièce, et je m’en tirai en disant la vérité : c’est que le temps m’avait paru bien court. Et en effet, je fus réellement étonnée quand j’entendis parler tout le monde. Eh bien ! depuis qu’il m’est impossible d’accorder de l’attention à rien, j’aime les lectures à la folie, cela me laisse libre ; au lieu que dans la conversation, malgré qu’on en ait, on est trop souvent rappelé par les autres. Ah ! ce sont surtout les gens qui donnent des préférences qui sont assommants. Il y a deux hommes qui ont la bonté de faire assez de cas de moi, pour me dire à l’oreille ce qui serait indifférent tout haut : il me faut vraiment de la vertu pour écouter et répondre. Mon ami, vous avez beau dire, je n’aime la conversation que lorsque c’est vous ou le Chevalier de Chatelux qui la faites. — À propos, il est bien content de moi : j’ai échauffé ses amis, et les choses sont si bien arrangées, qu’il ne nous faut que la mort d’un des quarante pour qu’il soit reçu à