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Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/195

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Lundi, après le facteur.

Vous avez été alarmé, vous êtes encore triste. Mon Dieu ! que je souffre de tout ce qui vous a fait souffrir, et que je suis désolée d’avoir ajouté de l’inquiétude à votre disposition ! Oui, je suis coupable, je suis faible, je me condamne, je me hais ; mais ce n’est pas réparer le mal que je vous ai fait. Vous avez vu, le courrier d’après, que cette fièvre n’était que la suite de l’état violent où était mon âme : ma machine n’est plus assez forte pour en supporter les secousses. Mon ami, ne me plaignez jamais ; dites-vous : elle est folle, et cette pensée vous calmera, et si vous ne souffrez pas, je serai heureuse. Mais j’espère que vous me direz avec soin et avec détail des nouvelles de vos malades. Il est affreux de connaître la crainte pour ce qu’on aime ; cette espèce de tourment est au-dessus de ma raison et de mes forces. Mon Dieu ! oui, il faut rester avec vos parents : votre départ sera un grand mal pour eux, et il faut leur épargner tout le temps qu’ils auront à s’occuper de leur santé. Dans cet état, tout ce qui excite la sensibilité, devient douleur. Mais je n’ai rien à vous dire, vous voyez mieux que moi, et vous sentez mieux que moi, et vous sentez avec plus de délicatesse. Mon ami, je suis presque mécontente de ce que vous ne trouvez pas de la douceur à me faire partager votre disposition, surtout lorsqu’elle vous est pénible ; c’est que je voudrais que vous dissiez, dans un sens contraire, ce que disait Montaigne : Il me semble que je lui dérobe sa part. Oui, mon ami, il ne devrait plus vous être libre de souffrir seul. Hélas ! je suis si fort au ton de tout ce qui souffre, c’est si