Aller au contenu

Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/202

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nière ! qu’elle laisse petit et faible ! mais cela ne tient ni à la volonté, ni à la pensée : ainsi il serait aussi insensé de chercher à exciter, que de travailler à éteindre. Restons donc ce que nous sommes, jusqu’à ce que la nature, ou je ne sais pas quoi, en ordonne autrement. — Mais vous êtes trop bon, mille fois trop bon de vous occuper de mes maux : souffrir est devenu mon existence ; cependant je suis mieux depuis que je suis au poulet pour unique nourriture : je souffre moins. Adieu, mon ami ; je vous parle de moi, et je ne songe qu’à vous. D’ici à lundi, je serai dans un état violent. Vous m’écrirez, je le crois.



LETTRE LXV

Dimanche au soir, 23 octobre 1774.

Mon ami, pour me calmer, pour me délivrer d’une pensée qui me fait mal, il faut que je vous parle : j’attends l’heure de la poste de demain avec une impatience que vous seul peut-être pouvez concevoir. Oui, vous m’entendez, si vous ne pouvez me répondre, et c’est quelque chose : il serait sans doute plus doux, plus consolant, d’être en dialogue ; mais le monologue est supportable, lorsqu’on peut se dire : je parle seule, et cependant je suis entendue. — Mon ami, je suis dans une disposition physique détestable ; je l’attribue à cette ciguë : elle a conservé, je crois, quelque propriété du poison ; je me sens dans une défaillance, dans une angoisse qui m’a fait croire aujourd’hui vingt fois que j’allais perdre connaissance, et dans ce moment même, je suis dans un