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Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/205

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c’est-à-dire de mourir. Mais je suis trop personnelle : je vous occupe de moi, tandis que je ne devrais vous parler que du plaisir que j’ai senti en lisant ces mots : Cela va mieux, cela va bien, je suis tranquille. Ah ! mon ami, j’ai respiré : il semble que cela m’ait redonné de la vie et de la force ; j’étais anéantie depuis trois jours : on dit que cela tenait aux nerfs, et moi qui en sais un peu plus que mon médecin, je crois que cela tenait à vous. Je suis comme Lucas, j’explique tout par mon métier de jardinier. Ah ! mon Dieu ! comment puis-je suffire à ce que je sens, à ce que je souffre ? et cependant mon âme n’a que deux sentiments : l’un me consume de douleur, et quand je me livre à celui qui devrait me calmer, je suis poursuivie par le remords, et par un regret plus déchirant encore que les tortures du remords. Encore moi ! que je m’en veux d’y revenir sans cesse ! mais m’en éloignerai-je, en vous disant que j’adore votre sensibilité et votre vérité ? Ah ! ne me cachez jamais rien : vous gagnez trop à me faire voir tous les mouvements qui vous animent. Mon ami, dans une situation toute pareille à celle où vous venez d’être, mais qui eut des suites plus funestes, M. de Mora me mandait, et presque dans les mêmes expressions, ce que l’agonie de sa mère lui faisait éprouver. La douleur qui le déchirait le plus avait son père pour objet ; et cela était si vrai, qu’il m’attendrissait beaucoup plus sur l’état de M. de Fuentes, que sur la mort de sa femme, qui fut lente et douloureuse. Mon Dieu ! je vous l’ai déjà dit : n’ayez jamais la pensée de me ménager, de m’épargner ; croyez que mon sentiment me mène plus loin que vous ne pourrez jamais me faire aller. Mon ami, c’est bien fait de voir la convalescence de madame votre mère si prochaine ; mais,