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Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/247

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Ne me dites plus que je suis condamnée à vous haïr un jour ; mon ami, j’appelle de cet arrêt, et je fais serment par vous que j’aime, par tout ce qui m’est sacré, de ne pas survivre une heure à cet horrible mouvement. Moi, vous haïr ! voyez donc quelle passion, quelle tendresse animent mon âme ! Ah ! si un jour il fallait ne plus vous aimer, mon Dieu ! qu’il serait doux de mourir ! Le ciel m’est témoin que je ne tiens qu’à vous, et que tout ce qu’on me prodigue de soins, de bontés, d’amitié et d’intérêt, n’aurait pas la force de me retenir jusqu’à demain. Mon ami, M. de Mora est toujours à côté de moi, et je vous vois toujours. Si mon âme perdait de vue cet appui, ce secours, je n’existerais pas une heure. Ah ! lisez donc dans le fond de mon âme : voyez-y plus encore et mieux que je ne vous dis. Peut-on jamais exprimer ce qu’on sent, ce qui anime, ce qui fait qu’on respire, qui est plus nécessaire, oui, plus nécessaire que l’air ? car je n’ai pas besoin de vivre, et j’ai besoin de vous aimer. Mon Dieu ! mon ami, à quelle distance êtes-vous ? Vous me disiez hier : Vous avez commencé par me blesser, et vous avez fini par me glacer. Et moi je vous réponds : Vous m’avez blessée, et j’ajoute : Vous me mépriseriez, vous me haïriez, que je trouverais encore en moi de quoi vous aimer avec passion. Oui, mon ami, je vous le répète : la mort vient à ma pensée vingt fois par jour, et mon âme n’ose concevoir l’idée de vous aimer moins. Oh ! connaissez-moi tout entière ; voyez dans mon âme un poison qui me consume, et que je n’ose pas vous faire voir. Ce ne sont pas mes remords, je vous en parle quelquefois ; ce n’est pas ma douleur, je m’en suis plainte souvent à vous : mon ami, c’est un mal qui altère ma raison et ma santé ; c’est un mal qui rend injuste, qui me