Aller au contenu

Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/248

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rend défiante, qui m’a fait prononcer des choses dont j’ai horreur. Comment ai-je été assez hors de moi pour pouvoir vous dire que j’avais mauvaise opinion de vous ? Cela est-il dans la nature ? cela peut-il être dans mon cœur ? Adore-t-on, rend-on un culte à ce qui ne nous paraît pas un Dieu ? Mon ami, il a fallu que ma tête et mon âme fussent exaltées à un degré bien rare, bien haut, pour être aussi coupable que je l’ai été. Mon Dieu ! j’étais aimée comme je vous aime, et par la créature la plus parfaite ; et puis, aurez-vous la force de me dire que je ne vous ai pas aimé, que mon sentiment était de la haine ? Oui, en effet, j’avais de la haine, mais c’était pour moi, c’était pour le mouvement irrésistible qui m’entraînait. Mon ami, regardez-y bien, et vous verrez que, quoique vous ayez été beaucoup aimé sans doute, jamais personne ne vous a aimé avec plus de force, de tendresse et de passion.



LETTRE XCI

À minuit, 1775.

Eh bien ! ne vous l’avais-je pas dit, mon ami ? je ne vous verrai pas et je ne vous ai pas vu. Mon Dieu ! qu’il est triste de prévoir si juste, et qu’il est douloureux de montrer des regrets à qui ne les partage pas ! Je ne sais comment j’ai pu sentir aussi vivement que vous me manquiez : il n’y a qu’à Iphigénie où il y ait plus de monde qu’il y en a eu cet après-dîner dans ma chambre ; j’en suis écrasée de fatigue. J’avais d’abord commencé par aller passer une heure avec