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Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/25

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tout en lisant et goûtant ces Lettres, ont fort blâmé M. de Guibert de ne les avoir pas détruites, de ne les avoir pas rendues à Mlle de Lespinasse, qui les lui redemande souvent. Il ne paraît pas, en effet, que l’ordre et l’exactitude aient été au nombre des qualités de M. de Guibert : il brouille volontiers les lettres de son amie, il les mêle à ses autres papiers, il les laisse volontiers tomber de ses poches par mégarde, en même temps qu’il oublie de cacheter les siennes. Il lui en rend quelquefois ; mais il s’en trouve alors dans le nombre qui ne sont pas d’elle. Voilà M. de Guibert au naturel. Pourtant, je ne vois pas pourquoi on le rendrait responsable et coupable aujourd’hui du plaisir que nous font ces Lettres. Il en a sans doute beaucoup rendu ; il y en a eu beaucoup de détruites. Mais Mlle de Lespinasse en écrivait tant ! Ce n’en est qu’une poignée conservée au hasard que nous avons ici. Qu’importe ? le fil est bien suffisant. C’est presque partout la même lettre toujours nouvelle, toujours imprévue, qui recommence.

Je ne veux qu’y prendre çà et là quelques mots pour donner l’idée de ce qui est partout à l’état de lave et de torrent :

« Mon ami, je vous aime comme il faut aimer, avec excès, avec folie, transport et désespoir…

« Mon ami, je n’ai plus d’opium dans la tête ni dans le sang, j’y ai pis que cela, j’y ai ce qui ferait bénir le Ciel, chérir la vie, si ce qu’on aime était animé du même mouvement.

Oui, vous devriez m’aimer à la folie ; je n’exige rien, je pardonne tout, et je n’ai jamais un mouvement d’hu-