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Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/251

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par la mort… Oui, mon ami, j’entendis ces funestes mots : ils se sont gravés dans mon cœur ; il en frémit encore, et il vous aime !… En grâce, que je vous voie demain ; je me sens pénétrée de tristesse et de trouble. Ah ! mon Dieu ! il y a un an qu’à pareille heure, M. de Mora fut frappé du coup mortel ; et moi, dans le même instant, à deux cents lieues de lui, j’étais plus cruelle et plus coupable que les ignorants barbares qui l’ont tué. Je meurs de regrets ; mes yeux et mon cœur sont pleins de larmes. Adieu, mon ami. Je n’aurais pas dû vous aimer.



LETTRE XCIII

Six heures du matin, 1775.

Vous souvenez-vous de vos derniers mots ? vous souvenez-vous où vous m’aviez mise, et où vous croyez m’avoir laissée ? Eh bien ! je dois vous dire que, revenue bientôt à moi-même, je me suis relevée, et que je ne me suis pas vue une ligne plus bas qu’une heure avant, où j’étais debout et de toute ma hauteur. Et, ce qui vous étonnera peut-être, c’est que de tous les mouvements qui m’ont entraînée vers vous, le dernier est le seul dont je n’ai point de remords. Et savez-vous pourquoi ? c’est qu’il y a un excès de passion qui justifie une âme qui a également horreur de ce qui est vil et malhonnête. Dans cet abandon, dans ce dernier degré d’abnégation de moi et de tout intérêt personnel, je vous ai prouvé qu’il n’y avait qu’un malheur dans la nature qui ne me