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Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/290

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suis bien reproché. En effet, comment appeler mon ami ce qu’on hait le plus dans la nature ? quelle réminiscence peut amener là ? Cela n’est pas concevable. Est-ce donc que cette haine serait le premier anneau de la chaîne qui ne laisse pas un mouvement de liberté aux malheureux qui ont été subjugués malgré eux ? Ah ! vous n’avez point assez d’esprit pour concevoir tout ce qu’on souffre en aimant sérieusement un homme qui ne mériterait d’être aimé que par les femmes dont il flatterait la vanité, sans occuper jamais l’âme. Voilà comme on aime, voilà ce qu’on dit qui est aimable ; et je ne sais comment, avec tant d’agrément de part et d’autre, il arrive cependant de s’ennuyer à mourir au milieu de tous ces gens-là. Mon ami, oui, mon ami le plus cher à mon cœur, ne soyons plus mal ensemble : pardonnons-nous, nous avons encore de quoi être indulgents ; mais souvenez-vous que je suis bien malade et bien malheureuse ; si vous voulez que je vive, aidez-moi, soutenez-moi ; faites-moi oublier tout le mal que vous m’avez fait. Répondez-moi, il me revient un volume. Adieu, adieu. N’êtes-vous pas las ?



LETTRE CXIV

Mardi, 4 juillet 1775.

J’en suis bien fâchée ; mais, mon ami, pourquoi me demandez-vous l’impossible ? donnez-moi l’occasion de vous être utile dans ce que vous croirez juste, je vous réponds que cela se fera, et sans que je m’en mêle : vous n’aurez qu’à parler. Si vous saviez ce qu’il