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Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/289

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envoyé sur-le-champ ; j’ai écrit avec plus d’intérêt que je n’en mettrai jamais à moi et à ma fortune. J’ai prié qu’on ne me répondît pas sur-le-champ, parce qu’il n’y a que les refus qui soient si prompts. Enfin, Monsieur, j’ai pensé que je serais un de vos amis, et cette pensée ne m’a pas permis de rien omettre pour réussir. Que vous seriez ridicule, si vous n’étiez le plus aimable du monde ! Votre lettre est un mélange de confiance dans mon sentiment, et de défiance d’avoir jamais pu être aimé, qui est trop plaisant ; c’est un ton si poli, et puis c’est un ton si confiant ! Cela me rappelle : Philis, qu’est devenu ce temps, etc. Je ne sais pas si vous m’aimez, mais vous êtes presque aussi inconséquent que moi : est-ce que je vous entraînerais ? si vous saviez tout ce que mon silence vous a fait perdre ! et je n’entends pas par là les preuves de ma tendresse ; mais votre curiosité aurait été si amusée, si intéressée ! J’ai tant vu, tant entendu de choses depuis votre départ ! Je me disais : Tout cela serait plein de vie et d’intérêt pour moi, si je pouvais le lui communiquer ; mais dès que je ne dois pas lui parler, ce n’est pas la peine d’écouter : et en effet, je me retirai dans mon âme, où je trouvais bien mauvaise compagnie, des remords, des regrets, de la haine, de l’orgueil, et tout ce qui peut faire prendre en horreur la vie. — Je veux que vous me disiez par quelle lettre vous avez commencé ; je serais au désespoir, si c’était par celle-ci ; vous ne liriez le reste que comme les gazettes de l’année dernière, et je vous aurai offensé, j’espère ; je vous aurai révolté, vous m’aurez haïe, c’est quelque chose : mais la sottise, la faiblesse, c’est d’avaler sur-le-champ ce que je vous ai pourtant dit avec toute la vérité de mon âme. Oh ! il m’était échappé un mot, en vous mandant que vous étiez du concours, mot que je me