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Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/305

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ami, votre cœur m’a entendue ; il m’a répondu, et dès lors la vie m’est supportable. J’étais dans un accès de désespoir ce matin, M. d’Alembert en a été effrayé, et je n’avais plus assez de présence d’esprit pour le calmer. Son intérêt me déchirait, il a détendu mon âme, il m’a fait fondre en larmes ; je ne pouvais pas parler ; et dans mon égarement, il dit que j’ai répété deux fois : je mourrai, allez-vous-en ; et ces mots l’ont renversé : il a pleuré, et il voulait aller chercher mes amis, et il disait : Que je suis malheureux, que M. de G...... ne soit pas ici ! c’est le seul qui pouvait adoucir vos maux : depuis son départ vous êtes livrée à votre malheur. Oh ! mon ami, votre nom m’a ramenée à la raison, j’ai senti qu’il fallait me calmer pour rendre le repos et la vie à cet excellent homme. J’ai fait un effort, je lui ai dit qu’il s’était joint une attaque de nerfs à ma douleur habituelle. Et en effet, j’avais un bras et une main tordue et retirée ; j’ai pris un calmant. Il avait envoyé chercher un médecin ; pour me délivrer de tout cela, j’ai rassemblé tout ce qui me restait de force et de raison, et je me suis enfermée dans ma chambre en attendant le facteur. Il est arrivé, j’ai eu deux lettres de vous : mes mains tremblaient au point de ne pouvoir les saisir, ni les ouvrir. Ah ! pour mon bonheur, le premier mot que j’ai pu lire était : mon amie. Mon âme, mes lèvres, ma vie s’étaient attachées au papier ; je ne pouvais plus lire ; je ne distinguais rien que des mots détachés ; je lisais : vous me rendez la vie ; je respire. Oh ! mon ami, c’est vous qui me la donniez ; je mourrais, si vous ne m’aimiez plus. Jamais, non jamais, je n’avais éprouvé un sentiment aussi vrai. Enfin, j’ai lu, j’ai relu dix fois, vingt fois, des mots qui ont porté la consolation dans mon cœur. Mon ami, en vous approchant de moi,