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Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/304

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mieux que mes louanges. Je lui ai dit tout ce que je vous ai ouï dire qu’il faudrait qu’il sût ; je n’ai pas si bien dit que vous auriez dit ; mais je me sentais animée par votre esprit. N’importe, j’ai parlé avec cet abandon de confiance qui m’est si naturel avec les gens que j’estime et que j’aime ; en un mot, j’étais à mon aise comme avec vous. Et après avoir dit mille impertinences, j’ai remarqué qu’il n’y avait que la vertu et la simplicité qui pussent se passer d’habitude pour se trouver à son aise. Et en effet, il me semblait qu’il n’y avait point eu d’intervalle depuis le temps où il venait me dire ses vers métriques. Si je voulais, je vous dirais bien des choses aussi sur M. de Malesherbes ; mais cela serait de trop bon air, et il est difficile de crever de vanité, lorsqu’on meurt de tristesse. Adieu, mon ami, et il ne serait pas impossible que ce fût adieu pour jamais : Dieu seul et vous, le savez.



LETTRE CXIX

Samedi au soir, 15 juillet 1775.

Mon ami, je vis, je vivrai, je vous verrai encore ; et quelque sort qui puisse m’attendre, j’aurai encore un instant de plaisir avant que de mourir. Je ne me disais pas cela ce matin : mon âme était frappée de tristesse, j’attendais mon arrêt ; je le croyais funeste, et je voulais le subir : je ne voulais plus me plaindre, je ne pouvais plus souffrir, et j’avais déterminé qu’aujourd’hui serait le dernier jour de ma vie, si vous ne veniez pas à mon secours. Vous y êtes venu, mon