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Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/307

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que cette passion a de doux et de terrible. — Je n’ai point encore le paquet de mes lettres ; je ne serai tranquille que lorsque je le tiendrai : je ne saurais me défendre de la crainte que vous n’ayez fait quelque méprise ; vous étiez si pressé ; mais je crois que je ne vous ferais point de reproches : devinez si ce serait générosité. — Mon ami, il m’arrive une chose qui m’aurait renversée autrefois : madame Du Deffand me fait une noirceur affreuse : elle m’a mêlée dans toute cette tracasserie de madame Necker et de madame de Marchais ; elle m’a compromise vis-à-vis de madame d’Enville, et tout cela est encore plus absurde que méchant ; il faudra avoir des explications. M. d’Angevilers a aussi son rôle dans cette pièce infernale ; l’ambassadeur de Naples y met beaucoup d’intérêt, M. d’Alembert est furieux et moi, au milieu de tout cela, je suis calme comme l’innocence, et froide comme l’indifférence. Et hier qu’on voulait me monter la tête sur tout cela, je répondais toujours : tout ira bien ; et l’on admirait mon sang-froid au milieu de cet orage. Oh ! c’est que j’en avais un d’un autre genre et qui était près de fondre sur ma tête ; il n’y avait d’important pour moi dans la nature que l’arrivée du courrier de Bordeaux. Eh ! bon Dieu ! je défierais toutes les furies de l’enfer, lorsque je suis contente de vous. Voilà l’avantage, le cruel avantage du malheur : c’est qu’il tue tous les petits chagrins qui agitent la vie des gens du monde. Je sens que je me tirerai à merveille de cette tracasserie, parce que je n’y mets ni chaleur, ni intérêt ; je me reproche seulement de vous en parler si longtemps : mais si vous étiez ici, vous en sauriez bien davantage ; ce procès-là a pris la place de celui de M. de Guignes. — Le chevalier m’a rapporté de vos nouvelles. Vous me dites que vous gardez dans