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Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/314

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chant, cette fatalité prononceront encore ; et quelque parti que je prenne, il sera suivi de regret et de repentir. Oh ! mon Dieu ! ma vie me lasse, elle a été trop remplie : la nature m’avait isolée ; j’étais née pour l’obscurité et le repos, et j’ai été en proie à toutes les passions ! moi-même j’en ai connu tout le malheur. Ah ! si je n’avais pas aimé M. de Mora, que de mal j’aurais à dire de la vie ! mon ami, je ne voulais vous dire qu’un mot, et malgré moi, mon âme se verse et va chercher la vôtre : l’habitude d’être aimée m’égare encore, je me tourne vers vous, et ce n’est pas lui ! Eh ! non, ce n’est pas lui ! il ne m’attendait pas : à peine pouvais-je répondre. Mon Dieu, quels souvenirs ! ils m’éteignent et me désolent !

Voulez-vous vous rendre au salon des tableaux, demain mardi, à une heure et un quart ! Je ne vous piquerais pas d’honneur, en vous disant que vous seul vous ne serez pas exact au rendez-vous. Quelle folie. d’aller vous engager à dîner chez le comte de C…, mercredi, de préférence à madame Geoffrin ! — Mon ami, quoique vous dénigriez tout ce que j’éprouve, tout ce que j’aime, dites-moi si vous ne trouvez pas cette manière de dire bien aimable : quelqu’un, en me demandant des nouvelles de M. de Saint-Chamans, me disait : vous savez combien je l’aime avec votre cœur et avec le mien. Cela vaut mieux que la phrase de madame de Sévigné, sur la poitrine de sa fille. Il me revient six lettres en comptant celle-ci ; il m’en faut six, si vous voulez que je vous dise quatre mots demain. Je me presse de vous en répéter trois, que vous entendez trop souvent : J. V… A…, mais moins : oui, moins, j’en ai une preuve certaine.

Nous aimons toujours ceux qui nous admirent, etc. J’ai vraiment de l’esprit ce soir : car c’est celui de La