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Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/313

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passant ; il n’y a que le sentiment qui arrête, et en vérité je n’y prétends plus ; et je vous cède à demeure à ce qui vous possède.

Je dois vous dire pour l’acquit de la vérité et de la justice, que MM. Suard, Arnaud et d’Alembert ont fait l’impossible pour vous épargner l’accessit : mais dix académiciens l’ont emporté sur eux, et ils avaient l’usage et les statuts de l’Académie pour appuyer leurs avis. Ils ont arrêté que le jour de l’assemblée publique, on parlerait avec la plus grande distinction de votre excellent ouvrage : il y a eu trois voix pour partager le prix. Voilà qui est fait, je n’en veux plus parler, qu’une fois à vous.



LETTRE CXXIII

Onze heures du soir, 1775.

L’esprit est toujours la dupe du cœur, comme cela est vrai, comme cela est juste, lorsqu’on traite avec l’homme le plus facile et le plus susceptible de toutes les impressions ! Voilà ce que me disait mon expérience, et mon cœur la démentait tout bas ; il disait : il reviendra ; et tout ce qui sent en moi répétait : je le verrai. Oh ! mon ami, vous ne méritez pas, en effet, ce que j’ai souffert ; vous ne méritez pas les combats que j’éprouve ; vous ne méritez pas le sacrifice que je vous ai fait, non seulement de ma vie, mais de ma mort ; vous ne méritez pas surtout le trouble, l’embarras, les obstacles que mon penchant pour vous met dans la situation la plus critique de ma vie. Oh ! ce pen-