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Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/369

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mille fois mieux que Bérénice n’aimait Titus. Mais malheureusement je ne puis pas faire le même emploi de mon temps : je ne saurais le passer tout entier à vous attendre, et ceci n’est pas hors de propos. Par exemple, l’espérance de vous voir ce soir m’a fait éconduire un de mes amis. Cela m’a peinée en vous attendant, et actuellement cela m’inquiète ; car même les amis s’éloignent bien vite. On a tant d’affaires et de dissipation qu’il faut une grande bonté pour me sacrifier des soirées. Vous allez avoir mauvaise opinion de moi, je ne serais ni inquiétée, ni affligée, si j’avais éconduit ce qui m’aime. Il a actuellement ce degré d’intérêt qui pardonne, et qui fait qu’on ne prend point un refus pour un dégoût. Mais M. D… n’en est pas là. En se répétant deux fois, on ne peut plus la voir, il s’y soumettra comme à la nécessité. Cependant le moyen de l’avoir là, quand je vous attends ! Si bien donc que je vous prie de ne me pas faire partager vos doutes ; ils tourmentent mon âme, et ils laisseraient mes soirées trop solitaires. — Savez-vous bien que j’ai passé trois heures fort alarmée sur l’état de M. de Saint-Germain ? On disait qu’il était mal, qu’on craignait une fluxion de poitrine, et cette pensée me faisait frémir. La France est donc frappée de malédictions, me disais-je ! Et puis vous, votre intérêt, tout cela m’agitait, et je me taisais. Sur les sept heures on m’a annoncé une jolie femme, elle s’est mise à côté de moi. Sauriez-vous des nouvelles de M. de Saint-Germain ? — Oui, vraiment, j’en ai de sept heures du matin : elles étaient fort bonnes ; mais j’ai donné ordre, chez moi, de m’apporter ici des nouvelles de cinq heures que je dois avoir à huit heures. J’ai été alors tout à fait calmée, et je n’avais plus besoin de sa lettre qui est