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Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/372

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qui doivent appartenir les moments qui vous restent. Je vous demande seulement de ne les pas jeter par la fenêtre.

Mes lettres, mon ami.

Je n’ai point reçu les papiers que madame Geoffrin attend avec impatience ; renvoyez-les-moi tout de suite, je vous en prie.



LETTRE CXLIX

Minuit, 1776.

Mon ami, vous ne m’avez pas attendue, n’est-il pas vrai ? Vous n’avez pas eu le temps de penser à moi, et il y aurait de la gaucherie et de la sottise à me faire des reproches et à vous des excuses : il faut se croire aimé pour se croire infidèle. Mais dans le vrai, avec la volonté et le désir de vous écrire, je ne l’avais pas pu. Depuis quatre heures jusqu’à cet instant, je n’ai pas été seule une minute. D’ailleurs, que vous dire, mon ami, lorsque vous voulez que je vous parle de moi ? Avec deux mots, je puis toujours exprimer ma disposition physique et morale : je souffre, j’aime ; et, depuis quelque temps, cela est dans cet ordre-là. Oui, je souffre beaucoup. J’ai eu la fièvre. J’ai la fièvre, et je sens que ma nuit sera détestable ; je meurs déjà de soif, et j’ai la poitrine et les entrailles brûlantes, c’est aussi ma mauvaise nuit ; ma journée a été assez tolérable. Il y a eu si bonne compagnie, si bonne conversation dans ma chambre, que je vous y ai désiré pour vous : car pour moi, le bon, le médiocre et le mauvais n’ajoutent rien au besoin que j’ai de