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Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/375

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ce miracle s’opérait, combien la mort me serait effroyable ! Il ne m’a connue qu’avec le besoin, le désir et le plaisir de vivre. Mais, mon ami, je m’accuse, je me le reproche, je suis trop faible, je vous fatigue. Mes maux, mon malheur pèsent sur votre âme. Je ne veux plus que vous sachiez ce que je souffre : en ne vous le disant pas, votre sensibilité ne sera plus exercée d’une manière pénible, et vous croirez que j’ai suivi votre conseil. Vous me trouverez un meilleur visage ; et, ce qui est bien plus important, vous me trouverez moins curieuse. Allons, je vais faire comme Sosie, je me donnerai du courage par raison. Je ne vous promets pas d’aller jusqu’à la gaité, et c’est un tour au-dessus de mes forces. J’ai moins toussé aujourd’hui ; et si la nuit est de même, je renverrai encore la saignée comme dernière ressource. Non, le comte de C… ne vous a point su mauvais gré : il m’a dit honnêtement qu’il aurait fait comme vous. Mais si vous voulez tout réparer, dînez-y dimanche, vous me donnerez la force de sortir. — Oh ! je suis bien fâchée de ce que l’on commence à s’affaiblir, il faudrait être fort dans le moment où l’on a tout le pouvoir ; s’il craint, tout est perdu.

Vous voulez donc écraser tous les sots et tous les méchants ? Mon ami, cette ambition a moins d’éclat que celle d’Alexandre, mais elle est tout aussi vaste. Adieu, adieu, mon ami. Vous êtes si pressé, si affairé que c’est manquer d’égard que de vous retenir. Que je voudrais savoir si vous reviendrez demain ! que je voudrais vous voir, que je voudrais !… l’impossible.