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Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/374

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quatre feuilles que vous avez de moi, et de me les rapporter.



LETTRE CL

Onze heures du soir, 1776.

Quelque triste que je sois, j’ai joui vivement du plaisir de recevoir réponse sur les cinq heures du soir, à une lettre que je vous ai écrite à cinq heures du matin. Voilà ce qui fait aimer les grandes villes et Paris par-dessus tout. On n’a rien oublié de ce qui pouvait être commode et utile. Vous ne me dites pas de vous écrire, ainsi c’est un peu hasarder d’être perdue ou égarée. Mon ami, vous êtes vraiment d’un excellent conseil, et soit qu’il vous soit dicté, ou par la sensibilité, ou par la lassitude de mes maux, je n’aurais rien de mieux à faire, comme vous dites, que d’en essayer. Vous traitez ma toux, ma maigreur, mon estomac détruit, mes insomnies, l’irritation de mes entrailles, comme vous traiteriez les fantaisies de toutes ces belles dames : ce sont leurs plumes, leur tête en pagode, leur démarche sur un talon, en un mot, toutes les sottises. Vous me proposez de me guérir, comme vous leur proposeriez de se corriger. Mon ami, vous êtes bien jeune, voilà ce que cela me prouve : car je ne peux pas dire que vous êtes bien froid et bien désintéressé : croyez que ni ma volonté, ni rien dans la nature n’aurait plus le pouvoir de me sauver. Non, la résurrection de M. de Mora, qui serait pour mon âme le premier de tous les biens, ne pourrait plus changer mon sort. Ah ! si