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Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/389

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dis pas aimer, ni m’intéresser, je parle seulement de goût et d’attrait. J’ai été une heure tête à tête avec elle. Celle-là sait parler de ce qu’elle lit, et elle n’a pas besoin de cette ressource ; car elle sent et elle pense. — Mon ami, je dîne jeudi à l’hôtel de La Rochefoucauld ; il me serait bien doux que ce fût avec vous, mais Versailles… Avant que d’y aller, vous devriez bien faire inscrire sur la liste de la Comédie-Française les noms que je vais joindre ici. Et s’il était possible, vous devriez rapporter de Versailles le billet de la loge et les trois billets de parquet. J’entends bien que cette suite, que cette importance que je mets à une petite chose, vous transporte de colère, ou de mépris. Mon ami, votre tort à vous est de n’en mettre ni aux grandes, ni aux petites choses. Il me revient dix lettres avant votre départ. Si je ne les reçois pas (car il faut employer la menace où la prière est inutile), je ne vous écrirai pas une ligne d’ici à un mois. Mais, mon Dieu ! je sens quel cas vous devez faire de mes menaces et de mes résolutions ! Si vous ne me croyez pas la plus fausse des créatures, vous devez me trouver la plus faible et la plus aimante. Bonsoir, mon ami. Pour pouvoir causer avec vous un moment, je viens de renvoyer quelqu’un qui ne dormait pas comme vous, que je n’ennuyais pas comme je vous ennuie, mais qui ne pouvait pas retenir mon attention, parce que je voulais vous parler. Cependant je n’aime pas trop à vous écrire à Paris : vous êtes si pressé, vous répondez si peu et si mal ! vous êtes si peu avec moi, lorsque je suis avec vous ! en un mot, vous êtes si bien tout ce qu’il faut être pour plaire et n’être guère aimé, que je me meurs d’envie de me mettre à ce régime. C’est la dernière ressource que j’aie à tenter pour guérir mon âme, et soulager ma