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Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/388

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LETTRE CLX

Onze heures du soir, 1776.

Depuis que je vous ai quitté, mon ami, j’ai vu bien du monde, j’ai bien entendu causer de ce qu’il y a de plus important dans ce moment-ci ; j’ai bien écouté parce que c’étaient des gens qui savaient ce dont ils parlaient. J’en ai conclu que cette sotte, que cette malheureuse espèce humaine est bien difficile à gouverner, surtout lorsqu’on voudrait la rendre meilleure et plus heureuse. Mais pour dernier résultat, j’ai vu que M. de Saint-G.... ne vous disait pas tout, et je souhaite qu’il vous garde aussi bien le secret qu’il le garde à d’autres ; je ne vous parle pas au hasard. — Je voudrais bien que vous vinssiez dîner avec moi demain : et je n’ose vous en prier ; d’abord parce que j’aime mieux ce qui vous convient, que je n’aime mon plaisir ; ce n’est pourtant pas rigoureusement vrai, mais il en est des expressions de sentiment comme des traits d’esprit et des jeux de mots, qu’il ne faut jamais presser, ni analyser. Voilà que je me souviens que j’ai laissé un d’abord en l’air, qui demande une seconde raison. La voici : c’est qu’en ne vous pressant pas, si vous venez, je serai comblée, et que je m’épargne un refus : il faut avoir soin de soi lorsqu’on est aussi malingre que je le suis. Ah ! si vous saviez comme j’ai toussé, et par quelle charmante personne j’ai été plainte, soignée et, en vérité, intéressée au point de faire un peu diversion à ce que je souffrais. Oui, après vous, mais bien après vous, c’est ce qui me plaît le plus dans le monde. Entendez bien que je ne