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Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/409

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APPENDICE


I

PORTRAIT DE M. LE Mquis DE CONDORCET
Par Mlle de Lespinasse[1].


Si vous ne cherchiez que la vérité, et non le plaisir, j’aurais le courage de faire ce que vous exigez de moi ; mais en peignant un homme supérieur, en vous faisant connaître une des productions de la nature les plus originales et les plus extraordinaires, vous exigez encore que je vous rende les contrastes qui composent cet homme rare, et que je les rende d’une manière piquante. Il ne vous suffit pas que je peigne ressemblant, il faut encore que le dessin soit exact sans être froid, et que le coloris soit agréable sans rien faire perdre à l’expression. Ah ! vous m’en demandez trop ; et si vous m’obligez à m’occuper de moi, de mon ton et de ma manière, ce sera autant d’attention que j’enlèverai à l’objet que je veux vous faire connaître. Je vais donc ne regarder que lui, ne penser qu’à lui ; je le peindrai et d’après mes observations, et d’après l’impression que j’ai reçue.

La figure de M. de Condorcet annonce la qualité la plus distinctive et la plus absolue de son âme, c’est la bonté ; sa physionomie est douce et peu animée ; il a de la simplicité et de la négligence dans le maintien. Ceux qui ne le verraient qu’en passant diraient plutôt : Voilà un bon homme, que voilà un homme d’esprit ; et ce jugement serait une sottise. Car si M. de Condorcet est bon, et s’il est bon par excellence, il n’est point ce qu’on entend par un bon homme. Ce qu’on appelle un bon homme est pres-

  1. Œuvres de Condorcet, Paris, 1847-49, t. I, p. 626.