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Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/41

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trois cents lieues, d’agir pour les autres ; il n’y a de plaisir qu’à aller d’après l’impulsion de son mouvement et de son sentiment. Voyez si je suis généreuse : je m’engage à vous rendre votre parole si vous avez à vous reprocher quelque méprise. Avouez-le moi, et je vous réponds de n’en pas être blessée. Croyez qu’il n’y a que la vanité qui rende difficile, et je n’en ai point : je ne suis qu’une bonne créature, bien bête, bien naturelle, qui aime mieux le bonheur et le plaisir de ce que j’aime, que tout ce qui n’est que moi et pour moi. D’après cette connaissance, mettez-vous bien à votre aise, et écrivez-moi un peu, beaucoup ou point du tout ; mais ne croyez pas que cela me contente également : car j’ai encore moins d’indifférence que de vanité ; mais j’ai une force ou une faculté qui rend propre à tout : c’est de savoir souffrir et beaucoup souffrir sans me plaindre. Adieu ; avez-vous pu arriver jusque-là ? cela n’est-il pas assommant ?



LETTRE IV

Ce dimanche, 30 mai 1773.

J’ai reçu hier votre lettre de Strasbourg. Il me semblait qu’il y avait bien longtemps depuis mercredi 19 : c’est le jour où j’avais reçu votre dernière marque de souvenir : celle qui m’est venue hier m’a consolée, a fait du bien à mon âme : elle avait besoin d’être distraite par l’occupation d’un sentiment doux, auquel elle pût s’abandonner sans trouble et sans remords ; oui, je peux me l’avouer, je peux vous le dire à vous-même : je vous aime tendrement ; votre absence me