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Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/426

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III

PORTRAIT DE MLLE DE LESPINASSE
Par d’Alembert[1].

(Adressé à elle-même en 1771)

Le temps et l’habitude, qui dénaturent tout, mademoiselle, qui détruisent nos opinions et nos illusions, qui anéantissent ou affaiblissent l’amour même, ne peuvent rien sur le sentiment que j’ai pour vous et que vous m’avez inspiré depuis dix-sept ans : ce sentiment se fortifie de plus en plus par la connaissance que j’ai des qualités aimables et solides qui forment votre caractère ; il me fait sentir en ce moment le plaisir de m’occuper de vous, en vous peignant telle que je vous vois.

Vous ne voulez pas, dites-vous, que je me borne à faire la moitié de votre portrait en ne composant qu’un panégyrique ; vous y voudriez des ombres, apparemment pour relever la vérité du reste ; et vous m’ordonnez de vous entretenir de vos défauts, même, en cas de besoin, de vos vices, si je vous en connais quelques-uns. De vices, j’avoue que je ne vous en sais point, et j’en suis presque fâché, tant j’aurais envie de vous obéir. De défauts, je vous en connais quelques-uns, et même d’assez déplaisants pour les gens qui vous aiment. Trouvez-vous cette déclaration assez grossière ? je souhaiterais même que vous eussiez d’autres dé-

  1. Publié pour la première fois dans les Œuvres posthumes de d’Alembert, Pougens, 1799, in-8o, t. II, p. 1.