Aller au contenu

Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/425

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pect dont elle avait pénétré mon âme, je ne sais point louer tant de bonté et de simplicité à faire le bien : mais je chérirai la Providence qui a accordé aux malheureux une aussi excellente protectrice ; je la bénirai de me l’avoir fait connaître, et je dirai à tous mes compatriotes : « Allez en France, allez voir madame Geoffrin, vous verrez la Bienfaisance, la Bonté ; vous verrez ces vertus dans leur perfection, parce que vous les trouverez accompagnées d’une délicatesse qui ne peut venir que d’une âme dont la sensibilité a été perfectionnée par l’habitude de la vertu. Oh ! l’excellente femme que vous connaîtrez ! Allez, mes amis, faites le voyage de Paris ; et à votre retour, si vous m’apprenez que vous avez vu, ou que vous avez connu cette respectable dame, je ne m’informerai plus si vous avez eu du plaisir à Paris, si vous êtes bien aises d’avoir été en France. Pour moi, je n’y ai connu le bonheur que d’aujourd’hui… » Il s’était fait un profond silence pendant que je parlais ; madame Geoffrin n’avait pu m’interrompre. J’avais parlé avec véhémence : c’était mon cœur qui donnait de la chaleur à ce que je disais, et je vis que j’avais été entendu de celui de madame Geoffrin ; ses yeux s’étaient mouillés de larmes… « Ah ! que je suis heureuse, dit-elle avec simplicité ! je suis donc bonne ! Monsieur Sterne, vous venez de m’en récompenser, je veux vous embrasser pour le bien que vous m’avez fait… » Elle se baissa, je me levai avec transport, je la serrai dans mes bras… Oui, mon Éliza, je sentis pour la première fois de ma vie que les mouvements qu’inspire la vertu ont leurs délices comme ceux de l’amour ; mon âme eut un moment d’ivresse… Son retour fut pour toi… J’en serai plus digne de mon Éliza, me dis-je ; elle pleurera avec moi, lorsque je lui conterai l’histoire de la laitière de madame Geoffrin.