Aller au contenu

Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/43

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

calme, du repos et de la force dans toutes vos expressions ; il me semble que vous parlez de ce que vous avez senti, et non de ce que vous sentez ; enfin, si j’avais des droits, si j’étais délicate, si l’amitié n’était pas facile, je vous dirais que Strasbourg est bien loin, mais bien loin de la rue Taranne. Le président de Montesquieu prétend que le climat a une grande influence sur le moral ; Strasbourg serait-il donc beaucoup plus au nord que Paris ? Jugez ce qu’il y aurait à craindre de Pétersbourg ! Non, je ne crains point ; je crois en vous, je crois en votre amitié. Expliquez-moi pourquoi j’ai cette confiance ; et gardez-vous de croire que l’amour-propre y soit pour rien. Mon sentiment pour vous est purgé de ce vilain alliage qui corrompt et affaiblit toutes les affections. Vous auriez été bien aimable de me dire si ma lettre était seule à Strasbourg. Voyez si je suis généreuse : j’aurais voulu qu’elle pût être changée en celle que vous auriez désiré d’y trouver. Réglons nos rangs, donnez-moi ma place : mais comme je n’aime pas à changer, donnez-la-moi un peu bonne. Je ne voudrais point celle de cette malheureuse personne : elle est mécontente de vous ; et je ne voudrais point non plus celle de cette autre personne : vous en êtes mécontent. Je ne sais pas où vous me placerez ; mais faites, s’il est possible, que nous soyons tous les deux contents ; ne chicanez point ; accordez-moi beaucoup ; vous verrez que je n’abuse point. Oh ! vous verrez comme je sais bien aimer ! Je ne fais qu’aimer, je ne sais qu’aimer. Avec des moyens médiocres, vous savez qu’on peut beaucoup quand on les réunit tous à un seul objet. Eh bien ! je n’ai qu’une pensée, et cette pensée remplit mon âme et toute ma vie. Vous croyez que la dissipation et l’instruction ne