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Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/435

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faire les avances, quand on ne va pas au devant de vous ; et sur ce point votre fierté est sacrifiée à votre amour-propre : assez sûre de conserver ceux que vous avez acquis, vous êtes principalement occupée à en acquérir d’autres ; vous n’êtes pas même, il faut en convenir, aussi difficile sur le choix, qu’il vous conviendrait de l’être. La finesse et la justesse de votre tact devrait vous rendre délicate sur le genre et le choix des connaissances ; l’envie d’avoir une cour, et ce qu’on appelle dans le monde des amis, vous a rendue d’assez bonne composition, et les ennuyeux ne vous déplaisent pas trop, pourvu que ces ennuyeux-là vous soient dévoués.

Les noms, les titres ne vous en imposent pas ; vous voyez les grands, comme il faut les voir, sans bassesse et sans dédain. L’infortune vous a donné cet orgueil respectable qu’elle inspire toujours à ceux qui ne la méritent pas. Votre peu d’aisance et la triste connaissance que vous avez acquise des hommes, vous font redouter les bienfaits, dont le joug est si souvent à craindre pour les âmes bien nées ; peut-être même êtes-vous portée à pousser ce sentiment jusqu’à l’excès : mais en ce genre l’excès même est une vertu.

Votre courage est au-dessus de votre force ; l’indigence, la mauvaise santé, les malheurs de toute espèce, exercent votre patience sans l’abattre. Cette patience intéressante, et le spectacle de ce que vous avez souffert, devaient vous faire des amis et vous en font ; vous avez trouvé quelque consolation dans leur attachement et dans leur estime.

Voilà, mademoiselle, ce que vous me paraissez être : vous n’êtes pas parfaite, sans doute, et c’est en vérité tant mieux pour vous ; car le parfait Grandisson m’a toujours paru un odieux personnage. Je ne sais si je vous vois bien ; mais telle que je vous vois, personne ne me paraît plus digne d’éprouver par soi-même et de faire éprouver aux autres ce qui seul peut adoucir les maux de la vie, les douceurs du sentiment et de la confiance.