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Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/46

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d’une âme qui se donne avant de savoir si elle sera acceptée ; avant d’avoir pu juger si elle sera reçue avec plaisir, ou seulement avec reconnaissance ? Mon Dieu ! si vous n’étiez pas sensible, que de chagrin vous me causeriez ! car il ne me suffit pas que vous soyez honnête : j’ai des amis vertueux, j’ai mieux que cela encore, et cependant je suis occupée de ce que vous êtes pour moi ; mais, de bonne foi, n’y a-t-il pas de la folie, et peut-être même du ridicule à vous croire mon ami ? Répondez-moi, non pas froidement, mais avec vérité. Quoique votre âme soit agitée, elle n’est pas si malade que la mienne, qui passe sans cesse de l’état de convulsion à celui de l’abattement ; je ne puis juger de rien : je m’y méprendrais sans cesse, je prendrais du poison pour du calmant ; voyez si je puis me conduire, éclairez-moi, fortifiez-moi ; je vous croirai, vous serez mon appui, vous me secourrez comme la réflexion ; elle n’est plus à mon usage, je ne sais rien prévoir ; je ne distingue rien ; concevez mon malheur ; je ne me repose que dans l’idée de la mort ; il y a des jours où elle est mon seul espoir ; mais aussi j’éprouve des mouvements bien contraires ; je me sens quelquefois garrottée à la vie ; la pensée d’affliger ce que j’aime m’ôte jusqu’au désir d’être soulagée, si c’était aux dépens de son repos. Enfin, que vous dirai-je ? l’excès de mon inconséquence égare mon esprit ; et le poids de la vie écrase mon âme. Que dois-je faire, que deviendrai-je ? sera-ce Charenton, ou ma paroisse, qui me délivrera de moi-même ? je vous rends victime, et j’en suis affligée, si vous vous intéressez assez à moi pour prendre part à ce que je souffre, et j’en mourrai de confusion, si je ne vous ai causé que de l’ennui. Ne croyez pas pouvoir me le cacher, quelque esprit que vous y mettiez, vous ne