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Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/460

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car votre âme, quoique trop ardente, était honnête, combien je vous étais nécessaire, par le besoin même que j’avais de vous. Peut-être eussiez-vous enfin cessé de vous faire le reproche que vous vous faisiez quelquefois dans des moments de calme et de justice, d’être aimée comme vous l’étiez par moi, et de n’être point heureuse. Mais vous n’êtes plus ; me voilà seul dans l’univers ! il ne me reste que la funeste consolation de ceux qui n’en ont point : cette mélancolie qui aime à s’abreuver de larmes, et à les répandre sans chercher personne qui les partage. Dans le triste état où je suis, une maladie serait un bien pour moi ; elle adoucirait mes peines morales en aggravant mes maux physiques, et peut-être me conduirait-elle bientôt à la fin désirée des unes et des autres. Un pressentiment secret, qui pénètre et adoucit mon âme, m’avertit que cette fin n’est pas éloignée. Mais, hélas ! quand je fermerai mes yeux pour la dernière fois, ils ne retrouveront plus les vôtres ; ils n’en verront pas même qui donnent des pleurs à mes derniers moments ! Adieu, adieu, ma chère Julie, car ces yeux que je voudrais fermer pour toujours se remplissent de larmes en traçant ces dernières lignes, et je ne vois plus le papier sur lequel je vous écris.