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Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/52

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amitié soit grande, forte et entière ; que notre liaison soit tendre, solide et intime, ou il faut qu’elle ne soit rien du tout. Ainsi, je ne puis donc jamais me repentir de vous laisser voir toute mon âme. Si ce n’est pas cela que vous vouliez, s’il y a de la méprise, eh bien ! soyons de bonne foi : ne soyons ni honteux ni embarrassés ; revenons d’où nous sommes partis ; nous croirons avoir rêvé. Nous ajouterons cet article au chapitre de l’expérience, et nous nous conduirons comme les personnes bien élevées qui savent qu’il n’est pas poli de parler de ses rêves. Nous nous tairons le silence est si doux, lorsqu’il peut consoler l’amour-propre ! Vous ne voulez pas me dire quel rang vous m’accordez : êtes-vous retenu par la crainte de faire trop ou trop peu ? cela peut être selon la justice ; mais cela n’est pas noble. Cependant la jeunesse est si magnifique, elle aime à donner jusqu’à la prodigalité, et vous voilà avare comme si vous étiez vieux ou riche. Mais, en vérité, vous me demandez l’impossible : vous voulez que je vous plaigne de ce que vous faites de votre volonté ; il vous faut livrer des combats pour vous rendre à votre caractère. Eh, mon Dieu ! encore un peu de temps, et je vous réponds qu’il vous gouvernera en despote : l’habitude de vaincre le fortifiera, et il en a si peu besoin ! vous vous êtes dit (j’en suis sûre et il y a déjà longtemps), qu’il n’importerait que vous fussiez heureux, pourvu que vous fussiez grand. Laissez faire, je vous réponds que vous serez très conséquent ; il n’y a de vague et de flottant en vous que votre sentiment : vos pensées, vos projets sont arrêtés d’une manière absolue. Je suis bien trompée, ou vous seriez propre à faire le bonheur d’une âme vaine, et le désespoir d’une âme sensible. Avouez-le-moi, ce que je vous dis là ne vous déplaît